Peut-on retracer en quelques minutes, le destin hors du commun de Roland de la Poype ? Peut-on évoquer, en quelques lignes, sa vie, ou plus exactement ses vies, tant la sienne fut riche, remplie et au sens littéral du terme extra-ordinaire ?
Après avoir été élève pilote à Angers puis à l’école de chasse d’Etampes, Roland de la Poype a 20 ans le 18 juin 1940, lorsqu’il décide de répondre à l’Appel du Général de Gaulle. Il embarque à Saint-Jean-de-Luz, sur un bateau polonais, et après cinq jours de navigation, il débarque à Plymouth en Angleterre.
Avec les Forces Aériennes Françaises libres, il prend part à l’expédition de Dakar puis à la campagne du Gabon. De retour en Grande-Bretagne, il est affecté au Squadron Glasgow dont il est le seul pilote français.
En 1942, Roland de la Poype se porte volontaire pour le Normandie, une escadrille française, créée par le Général de Gaulle pour combattre aux côtés des soviétiques sur le front russe. Les pilotes se regroupent à Rayak au Liban d’où ils rejoignent, à travers l’Irak et l’Iran, Ivanovo au nord-est de Moscou. « Nous étions jeunes et intrépides. Nous avions la chance de participer à une aventure exaltante » disait Roland de la Poype, avec sa modestie habituelle, lors de la manifestation organisée en 2002 par l’Association d’Education Populaire pour célébrer le 60ème anniversaire de l’Escadrille Normandie Niémen.
En réalité, il faut souligner le courage de ces pilotes de chasse hors pair, de ces aventuriers audacieux, animés d’une passion indéfectible pour leur patrie, qui mettent la fougue de leur jeunesse, leur envie de lutter au service de la liberté. Grand technicien et tacticien du pilotage, Roland de la Poype possède un sens aigu du combat aérien qui lui permet d’enchaîner les exploits et fait de lui un as parmi les as, un héros parmi les héros. Il se distingue durant les opérations d’OREL, BRIANSK, SMOLEMSK, MINSK… C’est l’escadrille Normandie qui participe à la violente bataille pour le franchissement de la rivière Niémen. Le Maréchal Staline décerne alors au régiment le titre de Niémen en souvenir de cette action glorieuse.
Mettant 16 avions ennemis au sol, Roland de la Poype, est un des meilleurs pilotes de la guerre 39-45. Titulaire de très nombreuses décorations françaises et étrangères, je crois pouvoir affirmer que Roland de la Poype, était particulièrement fier, même s’il ne le laissait jamais paraître, d’avoir été fait Compagnon de la Libération par le Général de Gaulle, proclamé Héros de l’Union Soviétique par Staline et élevé au rang de Grand Croix de la légion d’Honneur par le Président de la République en 2007.
Revenu à la vie civile, Roland de la Poype, héritier de terres et de fermes, se lance dans l’industrie pour les entretenir et les faire fructifier. Dans ce domaine aussi, son parcours professionnel est exceptionnel et sa réussite éclatante. Précurseur dans le domaine de l’emballage plastique, il invente le fameux petit berlingot du shampoing DOP, un emballage écologique avant l’heure car ultra léger et facile à recycler. En 1968, il crée la Méhari, dont Citroën vend 160 000 exemplaires. Généreux il fera don d’une de ces voitures aux Sapeurs-Pompiers de Champigné. En 1970, pour montrer l’importance de la mer et la nécessité de sauvegarder les grands animaux marins, il ouvre le Marineland à Antibes. Il en fait le premier océanarium d’Europe avec 1 million 500 000 visiteurs par an. Puis en 1990, pour protéger notre paysage, notre bocage, il crée, à Champigné, sur ses terres, l’Anjou Golf, un outil sportif et touristique prestigieux.
Né aux Pradeaux, dans le Puy de Dôme, venu vivre très jeune au château familial de Mozé, Roland de la Poype est resté profondément attaché, tout au long de sa vie, à Champigné. Travailleur infatigable, il aimait à dire que « ce qui le faisait avancer sans cesse était la satisfaction de l’effort ». Ainsi malgré ses activités professionnelles qui l’accaparent pleinement, il souhaite s’investir pour notre commune. Elu conseiller municipal en 1953, il devient maire en 1959. Il assume cette tâche « avec le souci » dit-il « d’améliorer le sort des habitants ». Sous son autorité la commune s’équipe, c’est l’époque des grands travaux structurants. Le réseau d’adduction en eau potable est étendu à tout le bourg, les rues principales bénéficient de trottoirs et d’éclairage public. Il urbanise Champigné avec la création de lotissements de locatifs, allée des Roses et en accession à la propriété, rue du Pyron. Il réalise le réseau d’assainissement public et construit les vestiaires au terrain de football, le 1er terrain de basket, sans oublier les travaux d’aménagement et de rénovation de la mairie. Maire douze ans, jusqu’en 1971, il reste ensuite conseiller municipal durant quatre mandats. Jusqu’à la fin de ses jours, il demeure un spectateur attentif de la vie de Champigné, s’intéressant aux décisions du conseil municipal et au devenir de notre commune et de ses habitants.
Chacune et chacun d’entre nous ici présents a en tête une conversation, un moment, un instant de convivialité partagé avec Roland de la Poype. Il savait évoquer ses souvenirs ou raconter des anecdotes que sa vie pleine, active, débordante lui fournissait. Il le faisait avec humour et finesse, ses yeux pétillant de malice, heureux de vous avoir fait rire ou sourire. Des plus fragiles aux plus puissants de ce monde, Roland de la Poype se comportait toujours avec la même décontraction, cette aisance naturelle que son éducation et l’expérience de la vie lui avait donnée. Il faisait preuve d’une continuelle gentillesse, s’intéressant aux uns et aux autres. Il aurait pu faire sienne cette phrase de Boris Vian dans l’Ecume des jours : « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le bonheur de tous les hommes, c’est celui de chacun ».
Six gerbes ornent depuis quelques instants le monument aux morts de Champigné. Six symboles de l’hommage unanime rendu à celui qui a donné une part de sa vie, la plus belle parce que la plus jeune, pour la Patrie, pour défendre les valeurs de notre devise républicaine alors qu’elles étaient bafouées. Six symboles de l’estime et de l’affection que portent les habitants de Champigné à Roland de la Poype. Six symboles de la grande tristesse dans laquelle nous laisse son départ. A vous Madame de la Poype, à vous ses enfants, à sa famille, à ses proches, au nom de mes concitoyens, je veux exprimer notre très respectueuse et amicale sympathie et vous dire que nous partageons très sincèrement votre peine.
Lors de ses obsèques, le 30 octobre, en la cathédrale Saint Louis des Invalides, une petite carte accompagnait le livret de messe. Et sur cette carte, une citation de Roland de la Poype qui, beaucoup mieux qu’un long discours, donne sens à sa philosophie de la vie :
« Sans hésiter, sans me retourner, j’ai aimé la vie et ce qu’elle m’a offert ».