Incohérence quand tu nous tiens !
Avec la crise économique, la réforme de notre organisation territoriale est, plus que jamais, d’actualité. Elle doit permettre de clarifier, de donner de la lisibilité à notre système, d’organiser une meilleure articulation entre les collectivités et donc de mieux gérer l’argent public. Aujourd’hui plus personne ne sait qui fait quoi, quelles sont les compétences du Conseil Général, du Conseil Régional, des Communautés de Communes ou des Pays.
Encore faut-il qu’une réforme territoriale fixe des objectifs précis pour chaque strate. Le Président de la République et le Gouvernement doivent exprimer, de façon claire et argumentée, leur volonté et indiquer comment ils comptent mettre en œuvre cette réforme. Et là, avec François Hollande et Manuel Valls, nous sommes loin du but ! En effet, leurs positions sur ce dossier sont constamment fluctuantes, changeantes. Jugez-en :
Acte 1. A Dijon, pendant la campagne présidentielle, en mars 2012, le candidat socialiste promet "aux départements le rôle d’assurer et de renforcer les solidarités sociales et territoriales". Et d’ajouter : "Ils n’y parviendront que si les conseils généraux disposent de nouvelles ressources."
Acte 2. Le 20 novembre 2012, la majorité parlementaire, à la demande de François Hollande, abroge le conseiller territorial qui devait cumuler les fonctions du conseiller régional et du conseiller départemental. Élu sur un canton, le conseiller territorial aurait eu le double avantage de pouvoir représenter un territoire, donc une population, au Département et à la Région et de permettre une intégration progressive des compétences de ces deux collectivités.
Acte 3. Le 17 mai 2013, le Parlement vote une réforme territoriale qui crée les conseillers départementaux, au nombre de deux par canton, chaque binôme devant être composé d’une femme et d’un homme. Le nombre d’élus restant inchangé, la carte cantonale de chaque département est modifiée pour réduire de moitié le nombre de cantons. La loi repousse à 2015 la tenue des élections départementales et régionales initialement prévues en mars 2014.
Acte 4. A Tulle, le 18 janvier 2014, l’ancien Président du Conseil général de Corrèze affirme à propos des départements : « Je ne suis pas favorable à leur suppression pure et simple…car des territoires ruraux perdraient en qualité de vie sans d'ailleurs générer d'économies supplémentaires. »
Acte 5. Lors de sa déclaration de politique générale, le 8 avril dernier, Manuel Valls annonce qu’il souhaite réduire de moitié le nombre de régions en les laissant libres de fusionner par simples délibérations. Sur quelles raisons repose ce choix de moitié et non pas d’un quart ou du tiers ? Nul ne sait. Et le Premier Ministre d’ajouter qu’en l’absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le Gouvernement proposera, par la loi, une nouvelle carte des régions qui sera établie pour le 1er janvier 2017. D’autre part, le Premier Ministre veut engager un débat sur l’avenir des conseils départementaux etpropose leur suppression à l’horizon 2021. Au regard des précédentes et récentes déclarations du chef de l’État, l’on est en droit de se demander s’ils se sont concertés.
Acte 6. 4 mois après son discours de Tulle et 4 semaines après les annonces de son nouveau Premier Ministre, François Hollande déclare, le 6 mai sur RMC et BFMTV, « Je pense que les conseils généraux ont vécu.» Il n’était donc pas nécessaire de faire voter une loi, en 2013, pour créer cette aberration que sont les binômes de conseillers départementaux et modifier la carte cantonale s’il souhaite supprimer les départements ! Et ce n’est pas tout, il annonce, dans la foulée, qu’il souhaite repousser de 2015 à 2016 les élections des conseils régionaux et des conseils généraux, afin «d'avoir le temps» de réaliser cette réforme territoriale. C’est le 2ème report ! (En ce qui me concerne je vais faire un mandat de conseiller général de 8 ans au lieu des 6 ans légaux !)
Un député socialiste de l’Hérault, Sébastien Dénaja, sans doute en mal de grandiloquence, avait parlé d'une "Saint-Barthélémy des territoires" à propos de la création du conseiller territorial. Si la création du conseiller territorial est une Saint Barthélémy, comment qualifié la suppression pure et simple de 101 départements et d’une douzaine de régions ?
Mais beaucoup plus grave, toutes ces déclarations respirent l’impréparation, le gouvernement à vue, sans cap, sans vision stratégique et sans ligne politique. Un jour, le Président de la République défend les départements, quelques semaines plus tard il veut leur suppression. Le calendrier envisagé par Manuel Valls est retoqué 30 jours plus tard par François Hollande. Savent-ils vraiment ce qu’ils veulent ? La réforme territoriale est un sujet sérieux qui nécessite de fixer un calendrier, de s’y tenir, sans bidouiller les dates des élections, de définir les compétences exactes de chaque niveau de collectivités territoriales, et en fonction de cela de proposer ou non des fusions ou des suppressions d’échelons administratifs. C’est folie que de vouloir supprimer des collectivités sans avoir défini précisément qui fait quoi et avec quelles ressources.
Devant un tel déballage d’incohérences, au sommet de l’État, une question se pose : sommes-nous gouvernés ?